Un arbitrage judiciaire à fort impact financier. La justice française a tranché : Shein ne sera pas suspendue en France. Par une décision rendue le 19 décembre 2025, le tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de l’État visant à bloquer temporairement la plateforme chinoise d’e-commerce. Un choix juridique qui dépasse largement le cadre du droit numérique et pose une question centrale : peut-on fragiliser un acteur économique majeur sans mettre en péril tout un pan de l’économie numérique et de la consommation à bas prix ? Ce jugement, fondé sur le principe de proportionnalité, a des répercussions directes sur le marché français de l’e-commerce, l’emploi indirect, la concurrence et le pouvoir d’achat.
📊 Une suspension jugée disproportionnée
Derrière le raisonnement juridique du tribunal se cache une lecture économique très claire du dossier. Certes, la justice reconnaît l’existence d’un « dommage grave à l’ordre public », lié notamment à la vente ponctuelle de produits interdits (armes, médicaments, objets à caractère sexuel impliquant des mineurs). Mais elle souligne que ces dérives ne représentaient qu’une infime fraction d’une offre totalisant plusieurs centaines de milliers de références.
Le tribunal note ainsi que « seuls certains produits de la marketplace ont été identifiés comme manifestement illicites », et insiste sur le fait qu’ils n’ont pas été proposés « de façon récurrente et massive ». D’un point de vue économique, suspendre l’ensemble de la plateforme aurait donc entraîné un choc asymétrique, pénalisant des milliers de vendeurs tiers, des prestataires logistiques et des consommateurs, pour des manquements circonscrits.
Autre élément déterminant : la réaction de Shein. La plateforme a procédé à un retrait immédiat des articles incriminés, un comportement que le tribunal qualifie de « rigoureux et rapide ». Un signal fort envoyé aux pouvoirs publics : la régulation par la correction ex post est jugée plus efficace — et moins destructrice économiquement — qu’une sanction brutale.
🌍 Réguler sans casser : un précédent pour l’e-commerce
Si l’État est débouté, la décision ne constitue pas un blanc-seing. La justice impose en effet une injonction stricte à Shein : ne pas remettre en vente de produits sexuels sans mécanisme fiable de vérification d’âge, condition jugée essentielle pour sécuriser le modèle économique de la marketplace.
Ce point est crucial. Lors de l’audience du 5 décembre, Shein reconnaissait elle-même des limites techniques dans la mise en œuvre de filtres d’âge performants. En conséquence, certaines catégories resteront fermées, au moins temporairement. Une approche graduelle qui traduit une volonté de préserver la continuité économique tout en renforçant la conformité réglementaire.
Les avocats de la plateforme ont par ailleurs dénoncé une « cabale politique et médiatique », rappelant que l’État s’appuyait sur l’article 6-3 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Mais le tribunal a préféré une lecture restrictive de ce texte, estimant que la fermeture globale de Shein aurait envoyé un signal négatif aux acteurs internationaux du numérique, déjà attentifs à la stabilité juridique du marché français.
👁️ L’œil de l’expert : une victoire sous conditions
Ce verdict marque un équilibre subtil entre souveraineté numérique et pragmatisme économique. La justice française affirme sa capacité à sanctionner sans désorganiser, à réguler sans dissuader l’investissement. Pour Shein, il s’agit d’un répit stratégique, mais aussi d’une obligation : renforcer durablement ses contrôles sous peine de futures sanctions plus sévères.
Pour l’État, ce revers judiciaire invite à repenser les outils de régulation des géants du e-commerce : moins de décisions spectaculaires, davantage de supervision ciblée. Enfin, pour le consommateur français, la décision garantit le maintien d’une offre à bas prix — mais rappelle que le coût réel de la mode ultra-rapide se joue désormais aussi sur le terrain juridique et réglementaire.

