Face aux pressions politiques et aux incertitudes économiques, la Réserve fédérale américaine a décidé, le 30 juillet dernier, de maintenir ses taux directeurs inchangés. Une décision stratégique qui révèle autant les tensions internes de l’institution que les défis macroéconomiques auxquels elle est confrontée.
🔍 Une économie robuste… mais sous tension
Alors que la croissance américaine ralentit, les fondamentaux restent solides. Le marché du travail continue d’afficher un chômage historiquement bas, offrant un contrepoids à la faible dynamique du PIB. D’après le communiqué de la Fed, cité par l’AFP
La croissance a ralenti au premier semestre
Mais l’emploi demeure résilient. Cette dualité alimente une prudence assumée de la part de la banque centrale.
Maintenus depuis décembre dans une fourchette de 4,25 % à 4,50 %, les taux d’intérêt jouent un rôle clé dans le coût du crédit et la dynamique des marchés financiers. Leur stabilité vise à absorber les incertitudes nées de la stratégie protectionniste de Donald Trump, notamment les nouveaux droits de douane susceptibles d’amplifier l’inflation et de perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales.
Jerome Powell, président de la Fed, l’a souligné en conférence de presse :
Il reste beaucoup, beaucoup d’incertitudes autour des répercussions économiques de ces nouvelles mesures.
D’ailleurs, la mention d’une baisse de l’incertitude, qui figurait encore dans le dernier communiqué, a cette fois disparu – signe d’un environnement plus instable qu’il n’y paraît.
⚠️ Une rare fracture au sein de la Fed
Fait notable, deux membres du Federal Open Market Committee (FOMC) ont voté contre le maintien des taux, plaidant pour une réduction de 25 points de base. Une telle division n’avait pas été observée depuis plus de 30 ans, traduisant un débat stratégique intense au sein de l’institution.
Ces deux dissidents – Michelle Bowman et Christopher Waller – ont été nommés sous l’impulsion de Donald Trump. Le premier, potentiel successeur de Powell, s’inquiète de l’impact du resserrement monétaire sur l’emploi. La seconde, nommée vice-présidente de la Fed chargée de la supervision bancaire, adopte une posture plus modérée mais reste favorable à un assouplissement.
Le climat est donc tendu entre la Maison Blanche et la Réserve fédérale. Depuis sa réélection, Donald Trump multiplie les attaques contre Powell, qualifié de « nigaud », et presse l’institution d’agir rapidement pour relancer le crédit et soutenir la consommation. Le 30 juillet, il s’est fendu d’un message clair :
+3 %, BIEN MIEUX QU’ATTENDU ! […] Powell DOIT MAINTENANT BAISSER LES TAUX.
💸 Risques inflationnistes et arbitrage
Malgré une croissance de +3 % au second trimestre, la Fed reste prudente. Le premier trimestre avait vu une contraction de 0,5 %, ce qui, mis bout à bout, relativise la performance économique globale. Le spectre d’un ralentissement durable est bien réel, notamment avec la montée des tensions commerciales et la hausse prévisible des prix à la consommation.
La Fed aurait aimé abaisser les taux avant, mais les droits de douane ont tout changé
analyse Diane Swonk, économiste chez KPMG. Selon elle, les politiques protectionnistes freinent l’action monétaire, créant un cocktail explosif : inflation, incertitude géopolitique et volatilité financière.
Dans ce contexte, le statu quo monétaire apparaît comme un pari sur la stabilité à long terme, mais avec des risques clairs à court terme : une éventuelle dégradation du marché du travail, une hausse du coût du crédit immobilier, et un climat de défiance politique inédit entre la présidence américaine et son institution financière indépendante.
👁 L’œil de l’expert : un signal fort
La décision de la Fed est un signal fort envoyé aux marchés : l’institution reste maîtresse de sa ligne directrice, malgré les pressions de l’exécutif. Ce choix traduit une volonté de préserver la crédibilité monétaire face à des vents contraires politiques et économiques. Mais il place également Jerome Powell et son équipe face à un défi : réussir à piloter la politique monétaire dans un climat où chaque mouvement est scruté, critiqué, et parfois instrumentalisé.
Si l’économie américaine parvient à éviter le choc inflationniste tout en maintenant sa dynamique de croissance, la stratégie de la Fed s’en trouvera renforcée. Mais tout faux pas pourrait nourrir les accusations de paralysie, voire de partialité, dans une année électoralement décisive.