En seulement deux ans, la plateforme chinoise Temu a bouleversé les règles du jeu sur le marché du discount français. Dopée par une stratégie offensive, des prix ultra-compétitifs et un recentrage géographique, elle capte désormais près de 20 % du secteur. Derrière cette ascension fulgurante, se dessinent des impacts économiques profonds pour les distributeurs traditionnels, les marques européennes et l’ensemble de l’écosystème de la consommation low-cost. Décryptage d’un phénomène commercial et financier qui rebat les cartes.
Une percée commerciale hors norme
Entre 2023 et 2025, la part de marché de Temu est passée de 8 % à 19 %, selon les données issues d’une étude Joko, basée sur l’analyse d’un million de transactions bancaires représentatives de la population française. Cette progression fulgurante s’est accompagnée d’un bond de 129 % de ses ventes en 2024, une dynamique qui se poursuit en 2025 avec une croissance supplémentaire de +47 %.
En comparaison, des concurrents directs tels que Shein (+57 %), Normal (+42 %) ou Action (+20 %) apparaissent presque en retrait. D’autres acteurs plus traditionnels comme La Foir’Fouille (-1 %), Gifi (-5 %) ou Stokomani (-8 %) accusent, eux, un net recul.
️ Temu combine trois leviers majeurs pour dominer :
- Une politique de prix ultra low-cost,
- Un renouvellement produit quasi permanent,
- Une présence massive sur TikTok et les plateformes sociales.
L’étude résume ainsi le phénomène :
Temu s’est imposée comme un leader du discount, captant des parts de marché à des enseignes historiques comme Gifi ou même AliExpress.
En parallèle, le marché global du discount a progressé de 23 % en 2024, signe que Temu ne surfe pas seulement sur une vague : elle la génère.
Guerre économique et recentrage stratégique
L’essor de Temu est aussi le fruit d’un repositionnement géopolitique calculé. Face aux barrières douanières imposées par les États-Unis, notamment sous l’administration Trump, la plateforme a réorienté ses efforts vers l’Europe, avec un ancrage renforcé en France dès février 2025.
Résultat ? Une explosion des investissements publicitaires. La base clients a bondi de +10 % rien qu’en mai, selon Joko, alors que la plateforme étend sa domination au-delà de la mode, en s’attaquant à des segments plus spécialisés :
- Micromania et Cdiscount dans l’électronique,
- Ikea, But, Conforama ou La Redoute dans l’équipement de la maison.
Ce « surinvestissement publicitaire » génère des effets collatéraux. Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, estime que cela engendre des surcoûts marketing de 15 à 50 % pour les marques traditionnelles, qui doivent redoubler d’efforts pour rester visibles.
Autre évolution notable : Temu n’est plus perçue comme une plateforme de niche low-cost, mais bien comme une marketplace généraliste crédible, capable de concurrencer des géants de la distribution multisectorielle.
️ L’œil de l’expert : le tsunami
L’ascension de Temu incarne plus qu’un succès commercial : elle matérialise un changement d’ère dans le commerce en ligne et dans la dynamique économique du discount. À l’instar de ce qu’a été Amazon dans les années 2010, Temu redistribue aujourd’hui les cartes à grande vitesse, avec un effet domino sur les prix, les marges, et la structure de l’offre en France.
Cette offensive chinoise soulève aussi des questions de souveraineté économique, de fiscalité numérique, et de régulation des pratiques concurrentielles. Si rien ne vient freiner cette dynamique, c’est tout le modèle de consommation européenne qui pourrait basculer vers un « ultra low-cost » mondialisé.