Une offensive à double tranchant contre le calendrier américain. La nouvelle salve de Donald Trump ne cible ni ses rivaux politiques ni les tensions géopolitiques du moment, mais… les jours fériés. Dans un message posté le 20 juin sur son réseau Truth Social, le président américain s’en prend frontalement au calendrier fédéral, accusé de plomber l’économie américaine. Une posture polémique, alors même que la nation célébrait la fin de l’esclavage avec le « Juneteenth« , devenu jour chômé depuis 2021.
Derrière cette sortie tonitruante, une vision économique implacable : moins de jours non travaillés = plus de productivité = moins de dépenses publiques. Mais ce calcul simpliste néglige des pans entiers de la dynamique sociale, symbolique et financière qui entoure les congés officiels. Et soulève une question de fond : les jours fériés sont-ils un luxe ou un levier économique ?
Le coût des jours fériés : entre déficit perçu et gains indirects
Dans sa diatribe, Trump affirme que « cela coûte des milliards de dollars à notre pays de laisser toutes ces entreprises fermées ». Une déclaration qui relance un vieux débat : les jours fériés freinent-ils réellement l’économie américaine ?
D’après une étude du Center for Economic Research, chaque jour férié fédéral représenterait une baisse temporaire de 0,02 % du PIB hebdomadaire, soit un impact de l’ordre de 3 à 4 milliards de dollars. Mais ce chiffre brut occulte une réalité plus complexe : le ralentissement d’activité dans certains secteurs (industrie, services administratifs) est souvent compensé par un surcroît de consommation dans d’autres (tourisme, restauration, e-commerce).
De plus, les jours fériés soutiennent la consommation intérieure. Un rapport de la National Retail Federation révèle que les week-ends prolongés génèrent jusqu’à 6 % de hausse sur les dépenses de loisirs et de biens durables. En d’autres termes, ce que l’État perd en productivité publique, il le regagne souvent via les taxes sur la consommation.
C’est donc une vision strictement comptable et court-termiste que défend Trump — une constante de sa doctrine économique. Pourtant, en 2019 déjà, il affirmait vouloir « favoriser la croissance par la réduction des périodes improductives ». Rien de nouveau, sauf qu’en 2025, cette proposition entre en collision frontale avec un autre combat : celui de la mémoire collective.
️ Une bataille symbolique qui se joue aussi sur le terrain politique
La charge présidentielle intervient alors que le pays célébrait le Juneteenth, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage au Texas en 1865. Officiellement férié depuis une décision de Joe Biden en 2021 — dans la foulée des mobilisations post-George Floyd — ce jour est devenu un symbole fort de reconnaissance historique.
Nos jours fériés fédéraux disent qui nous sommes en tant qu’Américains
avait d’ailleurs déclaré Joe Biden lors de son discours d’inauguration, relayé par CNN. Selon lui, remettre en cause cette journée revient à effacer une mémoire collective douloureuse mais fondatrice. Et d’ajouter, selon NBC News :
Certains disent que cela ne mérite pas d’être un jour férié fédéral… Ils ne veulent pas s’en souvenir.
En s’attaquant à cette journée, Trump relance donc une fracture idéologique sur fond de rentabilité. Son argument : « Bientôt, nous aurons un jour férié pour chaque jour ouvrable de l’année. Il faut que ça change. » Une hyperbole typiquement trumpienne, qui oublie que les États-Unis comptent 11 jours fériés fédéraux par an, soit autant qu’en France. Rien d’excessif, comparé aux 35 jours en moyenne dans certains pays européens (congés + fériés).
Mais ce message touche une corde sensible : le ressentiment d’une partie de l’électorat ouvrier, que Trump cherche à séduire. Il avance d’ailleurs que « les travailleurs n’en veulent pas non plus » — sans citer aucune source. Pourtant, des enquêtes Gallup montrent que 75 % des Américains sont attachés aux jours fériés comme espace de repos, de famille et de rites collectifs.
L’œil de l’expert – Une vision anachronique
Derrière la rhétorique d’efficacité, Donald Trump renoue avec un capitalisme productiviste daté, où chaque jour non travaillé est vu comme un poids mort. Or, dans une économie post-Covid où l’équilibre travail/vie privée est au cœur des préoccupations, cette posture semble anachronique.
Les jours fériés ne sont pas seulement des pauses : ce sont des repères sociaux, des leviers de cohésion et, bien souvent, des moteurs indirects de dépenses et d’emplois. Vouloir les rogner au nom d’un gain budgétaire immédiat revient à sacrifier une part de lien national au profit d’un tableau Excel.
Il y a sans doute des ajustements à envisager, notamment pour mieux répartir les jours chômés selon les secteurs. Mais abolir des jours symboliques sous prétexte de rentabilité court terme ? Une fausse bonne idée, économiquement discutable et politiquement inflammable.