Sous des apparences de stabilité, le corps de la fonction publique territoriale cache une véritable zone de turbulence. En 2024, si les chiffres globaux de l’absentéisme pour maladie ordinaire semblent figés, un segment en particulier s’alarme : les petites collectivités locales, celles de moins de 30 agents. Dans ces structures, les arrêts maladie s’envolent, révélant une profonde crise de fonctionnement. Fatigue chronique, surcharge de travail, isolement professionnel : les signaux sont au rouge.
Derrière cette flambée, ce sont surtout les secrétaires de mairie, véritables chevilles ouvrières du service public local, qui paient le prix fort. Un basculement inquiétant, dans un contexte où l’État se désengage progressivement de certains territoires.
Petites collectivités, grands maux : l’absentéisme flambe dans les zones rurales
La moyenne nationale du taux d’absentéisme pour maladie ordinaire dans la fonction publique territoriale se maintient à 4,4 % selon l’édition 2025 de l’Observatoire de la performance sociale. Une apparente stabilité qui pourrait rassurer… à tort. Car en y regardant de plus près, certaines catégories de collectivités voient leur situation se dégrader brutalement.
Dans les structures comptant entre un et trois agents, le taux d’absentéisme a bondi de 3,3 % à 4,2 % en un an – une hausse de 27 %, qualifiée par l’étude comme la plus forte progression enregistrée. Une flambée qui n’a rien d’anecdotique. Pour Jean-Philippe Robert, directeur du département collectivités locales chez Diot-Siaci, cette évolution s’explique ainsi :
Malgré les idées reçues et un contexte socio-économique difficile, les organisations territoriales tiennent bon. Mais les plus petites d’entre elles commencent à flancher.
L’image traditionnelle des petites mairies rurales comme lieux de convivialité et de stabilité est aujourd’hui sérieusement ébranlée. L’absentéisme s’y généralise, et avec lui, le risque d’un effondrement progressif du service public de proximité.
Le syndrome du secrétaire de mairie : isolement, pression et épuisement
Le cœur du problème ? Le secrétaire de mairie, souvent seul aux commandes dans les plus petites communes. Derrière ce titre administratif se cache un rôle tentaculaire : accueil des administrés, gestion des dossiers d’urbanisme, comptabilité, coordination des élus, appui juridique, et bien plus encore.
C’est la personne qui tient à bout de bras l’ensemble de la collectivité
souligne Pierre Souchon, président du cabinet Caracal Stratégies, spécialiste en performance durable. Et leur quotidien s’alourdit d’année en année, notamment à cause du retrait progressif des services de l’État. Préfectures, trésoreries, pôles d’appui administratif désertent les territoires ruraux, laissant les secrétaires de mairie livrés à eux-mêmes face à des responsabilités toujours plus complexes. ️
Résultat : stress chronique, isolement professionnel et burn-out latent. Une spirale qui mène inévitablement à l’arrêt de travail.
L’effet de ciseau est donc inévitable. Trop peu de moyens pour trop de missions. L’équation devient intenable.
affirme Jean-Philippe Robert. Pire encore : les projets de réduction des effectifs de la fonction publique, actuellement envisagés par le gouvernement, risquent de durcir la situation. Moins de bras pour toujours plus de tâches : le risque systémique se rapproche.
L’œil de l’expert : revoir la copie
Loin des grandes métropoles et de la technocratie urbaine, les petites collectivités vivent une crise silencieuse mais profonde. L’absentéisme qui y explose n’est pas un effet de mode ou une statistique isolée : c’est le thermomètre d’un malaise organisationnel profond.
Les secrétaires de mairie, véritables piliers d’un service public de proximité, se retrouvent débordés et sous-considérés, alors même qu’ils endossent un rôle de plus en plus vital. Sans reconnaissance statutaire renforcée ni appui structurel, leur situation pourrait devenir un point de rupture pour la cohésion des territoires.
Il est donc urgent de réinventer le soutien administratif aux petites communes, d’une part en renforçant les effectifs, d’autre part en rééquilibrant les charges de travail. À défaut, les arrêts de travail risquent de devenir la norme, et non l’exception.