En pleine vague de chaleur historique, la France prend de plein fouet le coût économique du dérèglement climatique. Les canicules ne sont plus seulement une menace sanitaire ou écologique : elles deviennent une variable macroéconomique à part entière, pesant directement sur le produit intérieur brut, la productivité, l’énergie et l’agriculture. D’après Allianz Trade, la chaleur exceptionnelle de ces dernières semaines pourrait retrancher jusqu’à 0,3 point de PIB à l’économie française en 2025. Et les dégâts ne s’arrêtent pas là.
️ Chaleur extrême : une productivité en chute libre
Dans son rapport publié ce mardi, Allianz Trade alerte sur un risque désormais tangible : la décroissance climatique. Si l’Europe pourrait perdre jusqu’à 0,5 point de PIB, la France, tout aussi durement exposée, verrait sa croissance amputée de 0,3 point, en raison de l’intensité et de la durée des pics de chaleur (ils estiment que pendant 12 jours, les températures seraient à plus de 32°C entre mai et mi-juillet prochain).
L’impact est multiple. Sur le terrain, la productivité s’effondre : d’après l’Organisation internationale du travail (OIT), la performance d’un travailleur chute de 40 % au-delà de 32°C, et de 66 % dès 38°C. BTP, agriculture, logistique, événements… les activités extérieures sont ralenties ou suspendues. Même les secteurs tertiaires ne sont pas épargnés : près de 2.000 écoles ont fermé, désorganisant le quotidien des salariés-parents.
Une étude citée par Allianz Trade montre qu’un seul jour à plus de 32°C peut réduire la masse salariale annuelle de 0,04 %, soit l’équivalent d’une demi-journée de grève nationale. Même si certaines pertes sont compensées dans les mois suivants, seuls 30 à 50 % de l’impact initial sont récupérés, selon la BCE.
Agriculture et énergie : les maillons faibles
Si la canicule fragilise le tissu productif, l’agriculture reste en première ligne. Les précédents sont alarmants : la canicule de 2003 avait fait chuter la production de blé tendre de 21,5 %, celle de maïs de 30 %. Des millions de volailles avaient péri, et la production laitière avait reculé d’un cinquième. Ces chiffres pourraient se répéter, ou s’aggraver, face à une canicule devenue quasi annuelle.
Du côté de l’énergie, la situation est tout aussi préoccupante. Les centrales nucléaires, dépendantes du refroidissement par l’eau, voient leur rendement diminuer à mesure que les températures des rivières augmentent. EDF a déjà annoncé des baisses de production sur cinq réacteurs, et la perte cumulée atteint 93 gigawattheures, un record aussi précoce dans l’été. Selon Callendar, chaque degré de réchauffement de la source de refroidissement réduit l’efficacité des centrales de 0,12 à 0,17 point.
Transports, bâtiments, inflation : l’effet domino
Les infrastructures souffrent aussi : rails déformés, routes fondantes, annulations ou retards de trains. Ces dysfonctionnements logistiques ont un coût, bien que difficile à quantifier. En 2003, les pertes dues à la canicule ont atteint 0,2 point de PIB, soit 30 milliards d’euros selon l’Insee. À cela s’ajoute une inflation alimentaire due à la chute des récoltes, comme le +22 % sur les légumes frais observé en septembre 2003.
Le secteur du bâtiment n’est pas épargné non plus. La sécheresse fragilise les fondations, fissure les murs, provoquant des dégâts structurels massifs. En 2022, ces dommages ont coûté plus de 5 milliards d’euros, entre dégâts immobiliers, pertes agricoles, pannes électriques et feux de forêts.
Enfin, le coût sanitaire est vertigineux : entre 2015 et 2020, Santé publique France estime que les vagues de chaleur ont généré un coût compris entre 22 et 37 milliards d’euros, entre arrêts maladie, hospitalisations, et décès précoces.
L’œil de l’expert : l’heure de décider
Les canicules ne sont plus de simples épisodes climatiques, ce sont des chocs économiques systémiques. Leur fréquence et leur intensité vont crescendo, alors même que les investissements publics pour y faire face restent largement insuffisants. Le vrai danger, ce n’est plus tant le manque de données que le retard dans la prise de décision.
L’étude récente de Harvard et Northwestern est sans appel : une hausse de 1°C à l’échelle mondiale entraînerait une baisse de 12 % du PIB mondial en six ans. La France doit anticiper et amortir le choc climatique, en accélérant la rénovation thermique, la modernisation du réseau énergétique, l’adaptation agricole et la résilience des infrastructures. Car l’économie de demain dépend désormais de notre capacité à encaisser la chaleur d’aujourd’hui.