Un séisme judiciaire secoue l’univers du tourisme numérique : le 4 août 2025, plus de 10 000 établissements hôteliers issus de 26 pays européens ont déposé une plainte collective contre Booking.com. Motif ? Des pratiques commerciales jugées déloyales et contraires au nouveau cadre réglementaire européen. Portée par Hotrec, la principale confédération de l’hôtellerie-restauration en Europe, cette action représente un tournant potentiellement décisif pour l’avenir des plateformes de réservation en ligne. En ligne de mire : un modèle économique fondé sur la domination algorithmique et des clauses contractuelles étouffantes.
🗜 L’étau se resserre sur Booking
Au cœur de la controverse, les fameuses clauses de parité tarifaire, ou « clauses de la nation la plus favorisée« , imposées par Booking aux hôteliers. Ces dispositions interdisent aux établissements de proposer des prix plus bas sur leurs propres canaux de vente que sur la plateforme.
Cette pratique empêche toute concurrence et nuit directement aux consommateurs comme aux hôteliers
dénonce Markus Luthe, porte-parole de Hotrec, dans un entretien avec RTL Belgique. Ces clauses, que le Digital Markets Act (DMA) interdit formellement depuis mars 2024, n’auraient pas été supprimées assez rapidement selon les plaignants. En dépit du nouveau cadre législatif, Booking serait resté fidèle à des mécanismes contractuels jugés oppressants, exposant l’entreprise à un risque financier et réglementaire majeur.
La procédure judiciaire, initiée aux Pays-Bas, siège de Booking Holdings, prévoit une première audience à La Haye en octobre 2025. L’affaire est soutenue par le fonds européen LegalFair, qui prend en charge tous les frais. Le poids économique de cette plainte est considérable : les indemnisations pourraient atteindre des centaines de millions d’euros, rien que du côté hôtelier.
🧾 Transparence et pratiques douteuses
Au-delà des hôteliers, ce sont aussi les consommateurs européens qui se mobilisent. L’association néerlandaise Consumentenbond, appuyée par Consumers’ Competition Claims, accuse Booking d’avoir usé de stratégies trompeuses entre 2013 et 2024 : promotions fictives, fausse rareté (« dernière chambre disponible ») ou encore frais dissimulés. Selon les estimations de Consumentenbond, chaque réservation pourrait avoir engendré des surcoûts de plusieurs centaines d’euros.
Booking, qualifié de « gatekeeper » numérique par la Commission européenne, pourrait voir son modèle économique remis en question. Ses commissions, parfois supérieures à 20 %, combinées à une mise en avant algorithmique favorisant les hôtels les plus rentables, posent de plus en plus problème. Plusieurs fédérations nationales, dont le GNI en France ou l’Alberghi Uniti en Italie, soutiennent également l’action collective.
De son côté, la firme néerlandaise réfute les accusations. Elle affirme dans un communiqué avoir « adapté [ses] conditions pour se conformer aux nouvelles exigences européennes », sans convaincre les professionnels du secteur. L’objectif affiché par les plaignants dépasse le cadre financier : il s’agit de rééquilibrer les rapports de force dans l’économie de la réservation numérique.
👁️ L’œil de l’expert : fin de partie ?
Ce bras de fer entre Booking.com et les hôteliers européens pourrait bien marquer la fin d’une époque pour les plateformes de réservation en ligne. Le Digital Markets Act impose un changement profond, et cette action judiciaire collective apparaît comme une première application concrète des nouveaux rapports de force dans l’économie numérique européenne.
Si les plaignants obtiennent gain de cause, cela ouvrirait la voie à une redéfinition des conditions contractuelles entre plateformes et professionnels, une baisse des marges de Booking et peut-être, à terme, une meilleure transparence tarifaire pour les voyageurs.
Dans un marché aussi stratégique que celui du tourisme, où des milliards d’euros se jouent chaque année, la bataille juridique qui s’annonce entre Booking et plus de 10 000 hôtels pourrait bien être le signal d’un rééquilibrage tant attendu.