La disparition d’Évelyne Leclercq, à l’âge de 74 ans, marque bien davantage que la fin d’un visage familier du paysage audiovisuel français. Elle ravive la mémoire d’une époque où la télévision généraliste structurait à la fois les audiences de masse, les recettes publicitaires et la culture populaire. Ancienne speakerine devenue figure emblématique de Tournez manège !, l’animatrice incarnait un modèle aujourd’hui révolu : celui d’une télévision fédératrice, capable de transformer un programme de mi-journée en machine économique et sociale. Son décès, annoncé par sa fille, invite à relire son parcours à l’aune des mutations profondes du secteur audiovisuel français.
💰 Tournez manège ! : un succès télévisuel
Diffusée sur TF1 entre 1985 et 1993, Tournez manège ! n’était pas seulement une émission de divertissement sentimental. Elle constituait un pilier stratégique de la grille de mi-journée, à une époque où la télévision linéaire captait une audience captive et monétisable. Aux côtés de Fabienne Égal et Simone Garnier, Évelyne Leclercq participait à un trio devenu indissociable de la réussite du programme.
Dans un entretien accordé au Parisien, elle rappelait que « l’émission a fonctionné parce que nous étions vraiment des amis », soulignant une alchimie humaine qui se traduisait directement en performances d’audience. Or, dans les années 1980, chaque point d’audience représentait des millions de francs de recettes publicitaires pour la chaîne. TF1, alors récemment privatisée, construisait sa rentabilité sur ce type de formats populaires, peu coûteux à produire et extrêmement rentables.
Dans un communiqué publié après l’annonce de son décès, TF1 a salué une « figure incontournable » et une « grande dame de la télévision française », mettant en avant son professionnalisme, sa bienveillance et sa proximité avec le public. Autant de qualités qui constituaient, à l’époque, un avantage concurrentiel fort dans la guerre des audiences.
Au-delà de Tournez manège !, Évelyne Leclercq a également coanimé Intervilles avec Guy Lux, autre monument de la télévision populaire, participant à des formats à forte valeur économique fondés sur l’événementiel, la fidélité du public et la répétition des rendez-vous.
Mais son parcours illustre aussi la diversification des carrières dans un secteur déjà soumis à l’obsolescence rapide. Si la télévision lui a offert une notoriété durable, elle n’a jamais cessé de cultiver sa passion pour la scène. « J’ai adoré la télévision mais le théâtre, c’est ma passion », confiait-elle à Ouest-France en 2016, rappelant qu’elle avait débuté au théâtre dès 1987, en parallèle de son succès télévisuel. Une stratégie d’équilibre entre visibilité médiatique et stabilité artistique, dans un univers où les carrières sont souvent cycliques.
👁️ L’œil de l’expert
La disparition d’Évelyne Leclercq agit comme un révélateur. Elle symbolise une époque où la télévision généraliste structurait l’économie du divertissement, bien avant la fragmentation des audiences et l’essor des plateformes numériques. Son parcours rappelle que les animateurs et animatrices de cette génération étaient de véritables actifs immatériels, créateurs de valeur pour les chaînes et repères durables pour le public. À l’heure où les modèles économiques de l’audiovisuel sont bouleversés par le streaming et la baisse des revenus publicitaires, l’héritage d’Évelyne Leclercq souligne une certitude : la puissance du lien humain reste, hier comme aujourd’hui, un facteur clé de création de valeur médiatique.

