Depuis le printemps, une grève peu médiatisée mais lourdement pénalisante paralyse une part stratégique du fret ferroviaire français. Ce conflit social, mené par une cellule locale du syndicat Sud Rail au centre de tri du Bourget, provoque des perturbations massives sur les axes de transport de marchandises. À l’heure où le rail cherche à regagner en compétitivité, cette impasse fait craindre une perte durable de confiance des clients industriels.
🚧 Un mouvement isolé, aux conséquences nationales
Lancé le 7 avril par une poignée d’agents du triage de fret du Bourget, ce mouvement de grève reconductible ne concerne ni les passagers ni la grande majorité des salariés SNCF. Et pourtant, ses effets résonnent bien au-delà de l’Île-de-France. Le centre de triage impacté dessert non seulement la région parisienne, mais également les grands corridors Nord–Sud et Est–Ouest du pays, ce qui en fait une infrastructure névralgique pour le transport de marchandises.
À l’origine de la fronde, la suppression de postes d’aiguilleurs et d’agents de circulation, jugée dangereuse par les syndicats. « C’est une attaque nette contre nos conditions de travail », dénonce Anasse Kazib, délégué Sud Rail, qui met en garde contre « une dégradation de la sécurité ferroviaire » si les réductions de personnel sont mises en œuvre.
Mais cette grève, loin de mobiliser l’ensemble du personnel, reste très localisée et pilotée par un seul syndicat, ce que déplorent les représentants du secteur privé. Dans un communiqué conjoint, l’AFRA (Association Française du Rail), l’Alliance 4F et le Groupement National des Transports Combinés fustigent une action « irresponsable« . Alexandre Gallo, président de l’AFRA et PDG de DB Cargo France, regrette que
dans un moment crucial pour reconstruire la confiance des clients, cette grève génère une instabilité inacceptable.
📉 Un secteur stratégique fragilisé par l’instabilité
Selon les opérateurs, jusqu’à 40 % des trains de fret ont vu leurs horaires ou itinéraires profondément modifiés certains jours. Résultat : désorganisation logistique, perte de fiabilité, retards de livraison et insatisfaction client. Un cocktail explosif dans un secteur déjà affaibli par des années de sous-investissement et de restructurations.
Le timing est d’autant plus malheureux que le fret ferroviaire français est en pleine refonte : liquidation de SNCF Fret, création de nouvelles entités, ambitions écologiques renouvelées… Or, la grève vient perturber cette transition. Raphaël Doutrebente, président de l’Alliance 4F et d’Europorte France, dénonce une instrumentalisation du droit de grève :
Une nouvelle demande de primes surgit alors que les négociations de fond sont en suspens. C’est un détournement préjudiciable à toute la filière.
Pendant ce temps, le camion continue de dominer le transport terrestre, concentrant aujourd’hui 88 % des flux de marchandises, contre seulement 9 % pour le rail, selon les chiffres 2023 du régulateur. Un effondrement progressif, quand on se souvient qu’en 1962, le fret ferroviaire représentait encore 63 % des marchandises transportées en France.
SNCF Réseau, contacté par BFM Business, affirme être mobilisé pour limiter l’impact des perturbations sur ses clients. Mais le mal est fait : certains industriels menacent de réorienter leurs flux vers la route ou le fluvial, au détriment des objectifs climatiques.
👁️ L’œil de l’expert : un suicide économique
L’enjeu dépasse le cadre local du Bourget. Dans un moment charnière où l’État, les industriels et les opérateurs misent sur la montée en puissance du rail pour décarboner l’économie et relocaliser la logistique, cette grève apparaît comme une autogoal stratégique.
Le modèle économique du fret ferroviaire est encore fragile, nécessitant investissements massifs, fiabilité constante et attractivité commerciale. Or, cette instabilité vient anéantir les progrès récents et ternir l’image d’un secteur qui peine à sortir de décennies de recul.
Face à un secteur du transport en mutation et sous tension, la responsabilité syndicale ne peut se limiter à l’intérêt immédiat d’une poignée d’agents, aussi légitimes soient-ils dans leurs revendications. L’écosystème du fret ferroviaire doit impérativement retrouver cohérence, unité et dialogue, pour ne pas rater une relance que le climat et l’économie appellent de leurs vœux.