La santé financière de la Sécu en état critique. C’est un signal d’alarme que vient de lancer l’Assurance maladie. Face à un déficit abyssal de 13,8 milliards d’euros en 2024, la branche maladie de la Sécurité sociale dévoile une série de propositions audacieuses, voire polémiques, pour tenter d’enrayer une spirale financière jugée « insoutenable à moyen terme ».
Selon Thomas Fatome, directeur général de la Cnam :
Nous sommes à un point de bascule. Préserver notre système de santé solidaire suppose désormais des choix clairs et structurants
En d’autres termes : la période des demi-mesures est révolue. Le spectre d’un déficit qui pourrait atteindre 35 milliards d’euros annuels d’ici 2030 impose une réforme de fond du pilotage des dépenses.
️ Réduire l’absentéisme pour assainir les comptes
Le cœur de la réforme esquissée repose sur un encadrement strict des arrêts de travail, jugés trop nombreux et trop longs. Objectif affiché : endiguer une dynamique d’absentéisme devenue budgétairement intenable pour la Sécu.
La Cnam propose ainsi de limiter la durée initiale des arrêts prescrits en ville à 15 jours, voire un mois pour ceux faisant suite à une hospitalisation. Une mesure pensée non comme une contrainte mais comme un levier de « suivi médical renforcé », afin d’ajuster plus finement la durée d’arrêt à l’évolution réelle de l’état de santé du patient.
En cas de prolongation, la durée maximale serait plafonnée à deux mois, dans l’optique de prévenir la désinsertion professionnelle. Un enjeu crucial, tant pour la personne en arrêt que pour les finances publiques, les arrêts longs étant souvent synonymes de ruptures durables avec le monde du travail.
Le contexte : La montée des pathologies chroniques, le vieillissement démographique et les séquelles de la crise sanitaire ont conduit à une explosion des arrêts de travail, pesant lourdement sur les comptes de l’Assurance maladie.
Cibler les dépenses inefficaces et revoir les ALD
Au-delà des arrêts, la Cnam souhaite s’attaquer à d’autres foyers de dépenses structurels. À commencer par le dispositif des Affections Longue Durée (ALD), qui permet une prise en charge à 100 % pour des patients atteints de maladies chroniques.
L’idée n’est pas de remettre en cause ce pilier de la solidarité, mais de « dynamiser » sa gestion : revoir les critères d’entrée et de sortie pour éviter que des patients en rémission restent indéfiniment dans le dispositif, tout en assurant un suivi médical rigoureux. En cas de rechute, la prise en charge serait bien sûr immédiatement réactivée.
Autre levier majeur : le prix des médicaments, dont la hausse s’accélère dangereusement. Depuis 2020, leur coût augmente de +4,2 % par an en moyenne, contre +0,6 % entre 2010 et 2019. Pour freiner cette dérive, l’Assurance maladie réclame des laboratoires une hiérarchie tarifaire fondée sur la valeur ajoutée thérapeutique réelle, ainsi qu’un recours plus systématique aux génériques, bien moins onéreux.
Enfin, la Cnam suggère de réviser le remboursement intégral de certains produits de santé dont l’efficacité est jugée insuffisante. Autrement dit, recentrer la dépense publique sur les soins les plus utiles, dans une logique de rendement médico-économique.
« Certaines de ces propositions ne font pas encore l’objet d’un consensus et devront être débattues publiquement », précise la Cnam, consciente que la mise en œuvre d’un tel plan nécessite un dialogue social nourri et un appui politique fort.
L’œil de l’expert
L’Assurance maladie engage une mue stratégique. Ce rapport, en apparence technique, est en réalité un signal fort envoyé au gouvernement et aux partenaires sociaux. Il montre une volonté de sortir du pilotage à vue pour anticiper les chocs à venir : vieillissement, pathologies chroniques, tension budgétaire.
Si certaines propositions soulèvent déjà des débats – notamment la réduction des durées d’arrêt –, leur logique financière est implacable. Sans réajustement profond, la soutenabilité du modèle de protection sociale est menacée à moyen terme.
Reste à savoir si ces pistes, pour l’instant au stade de la préconisation, sauront s’imposer dans le débat public et inspirer les arbitrages budgétaires de la rentrée.