Sous la surface, une reprise en main budgétaire. Ce qui apparaissait il y a encore deux ans comme un tournant culturel irréversible du monde professionnel est aujourd’hui remis en question avec méthode. Free et la Société Générale viennent d’acter des reculs significatifs sur le télétravail, rejoignant une tendance mondiale qui dépasse la simple nostalgie du présentiel.
Si les discours officiels évoquent performance, cohésion d’équipe ou équité interne, l’analyse des faits révèle une autre lecture : celle d’une stratégie financière camouflée derrière des objectifs RH. Moins visible mais redoutablement efficace, le pilotage des ressources humaines par le contrôle du lieu de travail pourrait bien constituer le nouvel outil d’optimisation budgétaire des grands groupes.
Le présentiel… au service de la gestion comptable
L’opérateur Free a récemment instauré une nouvelle charte : le télétravail passe de huit à six jours par mois maximum, et se voit assorti de nouvelles restrictions. Interdiction des jours consécutifs, présence obligatoire les vendredis à minima deux fois par mois… Un encadrement strict qui vise officiellement à rétablir l’équité entre salariés sédentaires et métiers non télétravaillables, selon la direction.
Mais derrière ces justifications, une autre logique se dessine : inciter au départ sans recourir aux licenciements. Un préavis de grève a d’ailleurs été déposé pour le 1er juillet. « Il s’agit d’une mesure unilatérale qui fragilise le dialogue social », dénoncent plusieurs représentants syndicaux, s’inquiétant d’une stratégie d’usure silencieuse.
La Société Générale, de son côté, a réduit le télétravail à un jour par semaine. Officiellement, il s’agirait d’harmoniser les pratiques internationales et de renforcer l’efficacité opérationnelle. Mais là encore, les syndicats parlent d’un “courrier brutal” et dénoncent une mesure qui va désorganiser le système de flex office mis en place depuis 2021, sans améliorer la productivité.
Comme l’écrivait Le Point dans une enquête récente, certaines entreprises utiliseraient le retour contraint au bureau comme un outil de gestion indirect des effectifs, évitant les plans sociaux visibles tout en poussant les profils les plus flexibles à quitter le navire.
Une tendance mondiale orchestrée par les géants de la finance
La France n’est pas un cas isolé. Le durcissement des politiques de télétravail touche aussi les grandes multinationales, à commencer par le secteur bancaire. HSBC a récemment prévenu ses collaborateurs que leur présence physique au bureau conditionnerait leurs bonus, officialisant une corrélation entre loyauté présentielle et reconnaissance salariale.
JPMorgan a franchi un cap supplémentaire. Aux États-Unis, la banque impose depuis janvier un retour au bureau à temps plein. Son patron, Jamie Dimon, n’y va pas par quatre chemins : « Le télétravail nuit à la créativité et ne fonctionne pas », affirme-t-il sans détour.
Cette doctrine est également reprise par des géants technologiques : Amazon, Tesla ou SpaceX ont tous imposé des conditions strictes de présence, parfois jusqu’à 40 heures minimum par semaine, comme l’a ordonné Elon Musk en 2022. Faute de quoi, les absents sont considérés comme démissionnaires.
️ L’œil de l’expert : retour aux sources?
Derrière les décisions RH en apparence organisationnelles, une mécanique plus rationnelle s’active : celle de la réduction indirecte des coûts. Le retour au bureau devient un filtre managérial, destiné à éprouver la résistance des équipes tout en forçant une sélection naturelle, sans procédure formelle.
En parallèle, ces politiques restaurent le contrôle managérial, facilitent l’usage de bureaux déjà contractualisés, et réduisent les coûts invisibles du télétravail (technique, sécurité, supervision).
Le futur du travail n’est pas à distance ou sur site : il est budgétairement piloté.